Une heure de pause au dîner lui suffisait pour s’évader. Ce jour-là, elle a décidé d’aller s’asseoir sur la pelouse fraîchement tondue pour prendre son sandwich. Elle a ôté ses ballerines pour sentir l’herbe sous ses pieds. Elle a mis son chapeau, celui de grande dame et qui ondule comme une vague. Je l’ai imaginée dans une longue robe blanche sous les palmiers. Elle a sorti un bouquin. Le soleil brûlait, mais la brise le rendait supportable. Elle avait réussi à s’échapper de la réalité en un instant. Les voitures, les embouteillages, les gens pressés, elle les avait oubliés.
J’avais chaud, je transpirais et mes mains étaient moites. Je l’ai enviée et me suis lancée dans cette quête du bonheur éphémère. Je me suis assise dans l’herbe. J’ai renversé mon latte dans le processus. Sans me laisser abattre, j’ai retiré mes chaussures (et mes chaussettes), puis j’ai cherché un chapeau que je n’avais pas. Par contre, je portais une robe blanche, bien qu’elle ne le soit pas restée longtemps. Mon seul point commun avec cette belle femme, c’était le sandwich, sauf que le mien dégoulinait. J’ai taché ma robe, et dans mon sac de cuir rouge gigantesque, il y avait tout sauf une serviette. J’ai hésité entre pleurer et rire, alors j’ai pleuré de rire.
À travers les verres de mes lunettes de soleil qui non seulement protègent mes yeux mais aussi la moitié de mon visage, j’ai espéré que personne ne m’ait vue, qu’une éclipse lunaire surgisse du ciel bleu, que cette femme au chapeau de grande dame ne lève pas les yeux. Puis j’ai encore ri. Je n’avais pas prévu de rire deux fois à ma pause du dîner, et c’est là que j’ai vu l’instant de bonheur qui m’entourait.
Par Bakoly Rakotomalala
Photographe et auteur du blog Des grains de sable
Son blog : www.desgrainsdesable.com
Son site photo : www.lapalettek.com